La légende du roi Arthur et de ses chevaliers s’est constituée et développée durant des siècles. L’aventure est l’élément essentiel de ce grand mythe qui traverse le Moyen Âge : les chevaliers partent prouver leur courage et, surtout, avec la Quête du Graal, éprouvent leur foi et leur vertu. Au cœur de ces récits, la Table ronde rassemble autour d’elle l’ensemble de ces héros chevaleresques.
Naissance d’une légende
« Pour ses nobles seigneurs dont chacun s’estimait le meilleur et dont nul ne savait qui était le moins bon, Arthur fit faire la Table ronde sur laquelle les Bretons racontent bien des récits. Les seigneurs y prenaient place, tous chevaliers, tous égaux » (Wace, Roman de Brut, vers 1155). C’est vers 1150 que la Table ronde est mentionnée pour la première fois dans le Roman de Brut, œuvre d’un moine anglo-normand, Robert Wace (vers 1110-vers 1170). Histoire légendaire de la Grande Bretagne, le récit s’organise en grande partie autour du roi Arthur, fils du roi Uterpandragon, de sa naissance extraordinaire, de ses guerres contre les Saxons et de ses guerres et de ses conquêtes : Arthur s’empare de l’Écosse, de l’Irlande, de la Gaule, et triomphe des Romains. La figure d’Arthur s’impose ainsi comme symbole de puissance et de gloire. Le Roman de Brut, composé pour le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt, flattait sans aucun doute les ambitions et les rêves de prestige de la cour d’Angleterre d’alors. C’est dans ce contexte que Wace place l’éloge des chevaliers d’Arthur et présente la Table ronde comme un lieu idéal, conçu pour attirer l’élite des chevaliers et aussi ne pas établir de hiérarchie entre eux.
Le symbole de l’idéal chevaleresque
Peut-on voir dans l’institution de cette Table ronde une allusion d’origine celtique à une ancienne coutume voulant que les guerriers siègent autour de leur chef ? Y a-t-il là le souvenir d’une table de festins ? Wace fait allusion à des récits d’origine bretonne qui, transmis oralement, auraient circulé en Occident. Leur origine celtique est vraisemblable mais n’explique pas tous les aspects de la création de la Table ronde. En effet, au moment où Wace rédige son œuvre, la chevalerie constitue au sein de la société féodale un compagnonnage guerrier, marqué par certains rites d’initiation, tel l’adoubement, et l’esprit de caste rejoint alors l’exaltation du mérite personnel. L’arrière-plan féodal sur lequel repose la société des 12e et 13e siècles ne doit en aucun cas être négligé quand, dans les textes littéraires, est exaltée la figure du chevalier.
Le témoignage d’un autre moine anglo-saxon, Layamon, auteur lui aussi d’un Roman de Brut à la fin du 12e siècle, raconte que le roi Arthur, effrayé par une querelle sanglante de préséance entre plusieurs chevaliers, se rendit en Cornouailles pour commander une Table ronde de mille six cents places, de façon à ce que plus personne ne puisse se sentir relégué au second plan.
Dès ces premiers textes, il est souvent question de la bravoure et de la « mesnie » du roi, c’est-à-dire de ceux qu’il retient auprès de lui par des dons précieux et à qui il accorde des fiefs lorsqu’ils l’ont bien servi. Élite guerrière, cette « mesnie » constitue une réserve inépuisable de héros jeunes et disponibles, venus de tous les horizons, attirés par le prestige d’une cour puissante. L’expression « cil de la Table ronde » ( « ceux de la Table ronde » ) apparaît alors, et les poètes se plaisent à la faire rimer avec le mot « monde ».
Par la suite, au 13e siècle, l’invention de la Table ronde est attribuée tantôt à Merlin, tantôt à Uterpandragon, le père d’Arthur, et la rotondité de la Table est clairement explicitée comme représentation symbolique du monde : « Elle est, en effet, appelée Table ronde parce qu’elle signe la rotondité du monde et le cours des planètes et des éléments du firmament dans lequel on peut voir les étoiles et les autres astres. Aussi peut-on à juste titre affirmer que la Table ronde représente le monde » (La Quête du Saint-Graal, vers 1220-1230).
Merlin l’Enchanteur, maître du destin
C’est grâce à Merlin que le roi Arthur est au cœur de la plus brillante chevalerie. Utilisant ses dons d’enchanteur et de magicien, il préside à la naissance d’Arthur en réunissant son père, Uterpandragon, et sa mère, Ygerne. Réitérant la ruse qui permit à Jupiter de prendre les traits du mari d’Alcmène et de séduire sa jeune femme, Merlin donne à Uterpandragon l’apparence du duc de Tintagel : ainsi Ygerne, femme du duc, accueille sans se méfier Uterpandragon et, au cours de leur nuit d’amour, engendre le futur roi Arthur. Bien plus, en faisant couronner Arthur malgré sa naissance illégitime, Merlin l’impose et l’amène à devenir le plus grand de tous les souverains. C’est lui aussi qui suggère à Uterpandragon de faire réaliser une table et de réunir à Carduel, à la Pentecôte, les cent cinquante meilleurs chevaliers du royaume. C’est du moins la version que développe au 13e siècle l’auteur du roman Merlin, Robert de Boron. Passée dans les mains du roi de Carmélide, Léodogan, père de Guenièvre, la Table ronde devient la dot de celle-ci lorsqu’elle épouse le roi Arthur. Cependant, cette Table ronde n’est pas complète au moment où elle parvient à Arthur, car il y manque cinquante nouveaux chevaliers, forts et vaillants. C’est encore Merlin qui choisit lui-même ces hommes de haut mérite, sans exclure ceux qui seraient de naissance pauvre. Tous sont unis par une amitié sans faille, et une atmosphère d’amour et d’affection règne à cette Table.
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Histoire de Merlin
Cependant, en son centre, un siège reste vide, le « Siège périlleux », réservé au « meilleur de tous les chevaliers » et jamais personne ne pourra s’y asseoir sans être tué ou estropié. Par ailleurs, sur chacun des sièges, apparaît soudain, sous forme d’une inscription, le nom de celui qui y a pris place, preuve miraculeuse que Dieu agrée et bénit cette compagnie.