Le personnage de Merlin est une figure mythique qui s’est construite grâce à la fusion de traditions orales d’origine galloise et de réécritures successives de la légende au cours du Moyen Âge. Lié aux forêts et aux lieux sauvages, incarnant une sorte d’esprit universel en lien avec les rythmes cosmiques de la nature, l’Enchanteur met ses pouvoirs au service de la Bretagne. Entre ses apparitions au milieu des hommes et à la cour, il rejoint dans la forêt de Northumberland une demeure appelée « l’Esplumoir » par les auteurs du Lancelot-Graal. Là l’attend un prêtre nommé Blaise qui a pour mission de consigner l’histoire du royaume breton.
Merlin redevient sauvage à certains moments de l’année. Velu et hirsute, son apparence rappelle ses traits sauvages et primitifs. Il a pour capacité de déjouer le cycle traditionnel des âges de la vie et le cours du temps : dès sa naissance, il paraît plus âgé, capable de raisonner et de parler comme un sage. S’exprimant par énigmes, il révèle aux hommes le futur en termes obscurs. Le trait mythique le plus important qui caractérise Merlin est son pouvoir de métamorphose : être protéen, il peut à volonté prendre la forme d’un animal, en particulier d’un cerf, créature liée à la forêt et symbole de souveraineté, l’apparence d’un homme sauvage ou encore l’aspect d’un gardien des bois, mi-homme mi-animal. Selon les circonstances, il peut devenir un paysan, un moine, un enfant ou un vieillard. Il a aussi le pouvoir de transformer les autres : ainsi, grâce à lui, le roi Uter prend l’apparence de son vassal le duc de Tintagel et peut ainsi confondre et séduire sa femme Ygerne. Omniscient, Merlin domine la condition humaine et se met au service des hommes.
Les sources celtiques
Quelques rares textes celtiques – des poèmes rédigés en moyen-gallois tels que Afallennau Myrddin (« Pommiers de Merlin »), Yr Oianau (« Le Porcelet ») ou Ymddiddan Myrddin a Thaliesin (« Le dialogue de Merlin et de Taliesin ») datés du 12e siècle – présentent un personnage nommé Myrddin qui aurait vécu au 6e siècle. Prince ayant perdu l’esprit à la bataille d’Arferdydd en assistant à la mort de son seigneur Gwendolleu, Myrddin se cache dans les forêts et possède un don prophétique qu’il met au service de ceux qui le rencontrent. Les auteurs bretons, en particulier Geoffroy de Mommouth dans lsa Vita Merlini rédigée en vers latins vers 1148, reprennent cette tradition celtique et construisent un personnage de devin appelé à une grande célébrité. Merlin vit dans la forêt comme une bête en proférant d’étranges prophéties. Retrouvant la raison grâce à une eau miraculeuse, il refuse de rejoindre la cour du roi Rodarchus dans le nord de l’Angleterre où l’attendent sa sœur Ganieda et sa femme ; il reste dans les bois, observant les astres, en compagnie d’un barde gallois, Thielgesinus, et d’un autre devin, Maelsin.
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Histoire de Merlin
L’Enchanteur, à l’origine du royaume de Bretagne
C’est dans un autre texte de Geoffroy de Mommouth, l’Historia Regum Britanniae, que Merlin est rattaché pour la première fois à Arthur et à l’histoire de Bretagne. Merlin apparaît dans l’histoire de la Bretagne avant l’époque d’Arthur, alors que le pays est encore sous la menace des Saxons et sous la domination de Vertigier. Sa première mission est de débarrasser la Bretagne de cet usurpateur et de redonner leur place aux deux fils du roi Constant, héritiers légitimes du trône, Uter et Pendragon. La tour élevée par le roi Vertigier afin de lui servir de refuge imprenable s’écroule chaque nuit au fur et à mesure de sa construction, symbolisant la fragilité de son règne. Seul Merlin sait que sous la tour se trouve un étang dans lequel dorment deux dragons. Éveillés, les deux monstres s’affrontent dans un combat mortel dont Merlin donne la signification : le dragon blanc, victorieux, représente les deux fils du roi Constant qui viennent récupérer leur royaume, et le dragon rouge est l’usurpateur Vertigier, dont la mort est ainsi annoncée.
Merlin s’impose ainsi comme le protecteur des rois légitimes et les aide à se débarrasser des envahisseurs saxons. C’est lui aussi qui, après la victoire des Bretons contre le Saxon Hengist, fait ériger un monument commémoratif pour rendre hommage à la mémoire des guerriers bretons, en particulier à celle du roi Pendragon. Usant de magie, il fait transférer dans la plaine de Salesbières un immense cercle de lourdes pierres levées qui se trouvent en Irlande, au sommet du mont Killara, la « Carole des Géants », qui désormais compose l’étrange monument dressé à Stonehenge.
Merlin entre Dieu et diable
Dans les textes les plus anciens, la naissance extraordinaire de Merlin est à peine évoquée. Elle est vraiment mise en scène par Robert de Boron au début du 13e siècle. Né d’une mère vierge et chaste, mais abusée par un démon mâle, un incube capable de s’unir aux mortelles, Merlin est issu du combat qui oppose le Ciel et l’Enfer. Les diables, furieux que Dieu ait permis à son fils Jésus de s’incarner, de se mêler aux humains et de racheter ainsi le péché originel, inventent cet Antéchrist destiné à combattre et à anéantir l’œuvre du Sauveur : Merlin. Mais la mère de Merlin est une sainte jeune fille qui a été trompée, « engignee », et ne peut être accusée d’avoir péché. Merlin, au cour de cette lutte entre les forces du Mal et du Bien, choisit le camp de Dieu et dès lors se met au service de la religion chrétienne.
Ce sont donc des rois chrétiens que Merlin aide à s’installer sur le trône de Bretagne. L’élection d’Arthur, qu’il favorise, est voulue par Dieu et la chronique des rois bretons s’inscrit dans la christianisation de la Bretagne. La voix de Merlin s’élève pour rappeler que le premier devoir du souverain est la loyauté envers Dieu. C’est également sous le règne d’Uter que Merlin, selon certains textes, a créé la Table ronde pour réunir les meilleurs chevaliers, et lui-même en choisit cinquante pour former une sorte de communauté quasi religieuse qui symbolise le nouveau visage de la chevalerie. Autour de la Table ronde, une place reste vide, destinée à celui qui aura l’agrément de Dieu, et c’est Merlin lui-même qui explique que cette table doit être comprise comme l’une des répliques de la table de la Cène et de la table du Graal établie par Joseph d’Arimathie sur l’ordre de Jésus pour séparer les bons des méchants. Tout est en place grâce à Merlin pour que le règne d’Arthur soit profondément chrétien et que la quête du Graal puisse avoir lieu.
Merlin et la naissance du roi Arthur
C’est Merlin qui est responsable la naissance d’Arthur. La conception du futur roi se passe en effet dans des circonstances exceptionnelles et romanesques. Sur les conseils de Merlin, le roi Uterpendragon avait instauré l’usage de convoquer tous ses vassaux à sa cour lors des grandes fêtes de l’année. À Noël, le duc de Cornouaille s’y rend, accompagné de son épouse Ygerne, femme d’une grande beauté, vertueuse et fidèle. Le roi en tombe éperdument amoureux et, oubliant qu’elle est la femme de son vassal, lui fait des avances. Ygerne avertit son mari, lequel s’en retourne aussitôt pour aller l’enfermer dans son château de Tintagel. Ne pouvant prendre le château en l’assiégeant, Uter a recours à Merlin, qui lui promet son aide en échange d’un don dont il ne précise pas la nature. Merlin donne alors au roi l’apparence du duc de Cornouaille, au conseiller Ulfin celle d’un conseiller du duc, et lui-même prend l’apparence d’un compagnon du duc. Profitant de l’absence du mari parti au combat, les trois hommes se présentent au château où Ygerne les accueille sans se méfier. Elle ne se rend pas compte que celui qui la serre dans ses bras n’est pas son mari et Arthur est engendré cette nuit-là. Le lendemain, on apprend que le duc a été tué pendant la nuit et le roi peut ainsi épouser Ygerne. Merlin, cependant, réclame son dû, à savoir l’enfant engendré dans ces circonstances. Ayant revêtu l’apparence d’un vieillard vénérable, l’Enchanteur prend l’enfant et le confie à Auctor en lui demandant de le faire baptiser, de l’appeler Arthur et de l’élever.