Pour mémoire, le texte anglais d'origine est : "When the legend becomes facts, print the legend !".
Cette phrase, elle-même entrée dans la légende du cinéma, est une réplique du superbe film états-unien de 1962 "L'homme qui tua Liberty Valance", l'avant-dernier western de John Ford, qui réunit à l'écran les deux légendes hollywoodiennes John Wayne et James Stewart.
C’est le dernier grand film de ce réalisateur états-unien qui a déjà 68 ans. John Ford est un vétéran qui tourne des films depuis 1917. Ce fils d’immigrants irlandais a en effet débuté sa carrière à 22 ans avec un western muet sous le nom de Jack Ford. Et va s’imposer comme le maître du genre.
"L’homme qui tua Liberty Valance" est à la fois son chant du cygne et son dernier succès commercial. Mais aussi son film le plus important des années 1960. En cinquante ans de carrière et plus de 140 longs métrages (dont "La chevauchée fantastique", "La poursuite infernale" ou "La prisonnière du désert"), le cinéaste le plus oscarisé d’Hollywood, avec quatre trophées du meilleur réalisateur (pour "Le Mouchard" (1935), "Les Raisins de la colère" (1940), "Qu'elle était verte ma vallée" (1941) et "L'Homme tranquille" (1952)), décide de tourner pour la Paramount une œuvre intimiste.
Si les plaines désertiques et les rochers de la Monument Valley, à la frontière de l’Arizona et de l’Utah, forment le décor habituel de ses films, John Ford délaisse cette fois les grands espaces avec ce western tourné presque entièrement en studio.
D’ailleurs, les scènes de ce film essentiellement nocturne se déroulent principalement en intérieur (dans une cuisine, une salle de restaurant ou une chambre ; loin des paysages grandioses qui ont fait sa renommée).
Ford revient aussi au noir et blanc pour la dernière fois après avoir filmé en couleurs de nombreux westerns. Car "L'homme qui tua Liberty Valance" est une oeuvre teintée d’amertume.
C’est l’un des meilleurs scénarios tournés par John Ford. Construit autour d’un long retour en arrière, le film est l’adaptation -peu fidèle - d’une nouvelle de seize pages de la romancière Dorothy M. Johnson.
Après des années d’absence, le sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) et son épouse Hallie (Vera Miles) arrivent en train à Shinbone pour assister aux funérailles d’un certain Tom Doniphon (John Wayne). Intrigué, un journaliste du "Shinbone Star" interroge le politicien à propos de sa présence aux obsèques d’un cow-boy oublié de tous, mort dans l’anonymat et l’indifférence. Stoddard lui raconte son passé dans cette petite ville où, jeune avocat, il a combattu avec le défunt un abject hors-la-loi, Liberty Valance (Lee Marvin), qui terrorisait les habitants.
On va découvrir au fur et à mesure du film que Stoddard est un imposteur qui a construit sa vie et sa carrière politique sur un mensonge. En effet, le jeune juriste devenu gouverneur puis sénateur a prétendu pendant des années avoir tué Valance alors qu’en réalité, c’est son ami Tom qui a abattu le dangereux bandit (car Stoddard était un tireur inexpérimenté).
Tom Doniphon a en effet abandonné à son rival non seulement la gloire de son geste, mais aussi la main de Hallie (Vera Miles), la femme qu’ils aimaient l’un et l’autre… Avec cette réflexion sur la fondation des mythes américains, John Ford exprime un certain désenchantement à l’égard de la mythologie du western qu’il a lui-même forgé à travers ses films.
Il y a ainsi dans "Liberty Valance", un thème spécifiquement fordien, celui de l’ancienne Amérique qui fait place à la nouvelle. Vers la fin de cette oeuvre mélancolique, Dutton Peabody, le journaliste du journal local - qui incarne l'arrivée du "quatrième pouvoir", celui de la presse, achevant la transition vers la modernité américaine - lance à Stoddard : "Quand la légende est plus belle que la réalité, on imprime la légende !".
John Ford raconte ici la transformation d’un pays sans foi ni loi en un état de droit et une démocratie. C’est une métaphore de la civilisation où la loi du talion est remplacée progressivement par l’ordre et la justice. Même si l’on sent que la sympathie de Ford va au personnage interprété par John Wayne. Hallie (Vera Miles) dépose d’ailleurs sur son cercueil une fleur de cactus, fleur sauvage symbolisant le vieil Ouest du disparu.
Ce grand classique du septième art a inspiré et influencé par la suite toute une nouvelle génération de réalisateurs :
- ce film que Steven Spielberg a découvert enfant dans un ciné de plein air de Phoenix (Arizona), a eu par exemple un énorme impact sur lui,
- en 1996, Michael Cimino, le réalisateur de "La porte du paradis" (1980) - un autre chef d'oeuvre -, a aussi avoué qu’il admirait le film de Ford,
- mais l’héritier le plus évident du réalisateur est naturellement Clint Eastwood. En particulier dans "Impitoyable" (1992), qui semble à la fois répondre et faire écho à "Liberty Valance", à travers le personnage de W. W. Beauchamp (Saul Rubinek), le biographe d’English Bob (Richard Harris), qui a tendance à déformer et embellir la réalité historique pour raconter, de façon romancée, les exploits de son "héros". Avant que le shérif Little Bill Daggett (Gene Hackman) ne rétablisse la vérité des faits. En interrogeant le rapport entre la légende et la réalité, Eastwood signe avec "Impitoyable" un hommage direct à "L'homme qui tua iberty Valance".
Une oeuvre immense, sans laquelle l’Amérique ne pourrait être comprise et aimée.
Source : www.programme-tv.net